Publié le 20-10-2021 par Me Tom SÉNÉGAS
Retard dans l’exécution d’un marché public de travaux : l’extension du recours entre titulaires de lots… au bénéfice des maîtres d’ouvrage publics :
En matière d’exécution des marchés publics de travaux, il était jusqu’alors fréquent qu’en cas de retard de l’un des titulaires de lot ayant provoqué un allongement plus ou moins significatif du délai global d’exécution du marché, le(s) titulaire(s) ayant subi les répercussions du retard initial recherche(nt) la responsabilité du maître d’ouvrage public.
A l’occasion de l’élaboration du décompte général, un ou plusieurs mémoires en réclamation étaie(n)t formé(s). Conseillé, le maître d’ouvrage public opposait habituellement les jurisprudences Haute-Normandie (CE, 5 juin 2013 : n°352917) et/ou Eiffage Construction Alsace Franche-Comté (CE, 6 janv. 2016 : n°383245). Selon la première de ces décisions, d’une part, l’entrepreneur avait droit à indemnisation de la part du maître d’ouvrage public en cas de faute de ce dernier ou de bouleversement de l’économie générale du contrat. En revanche, sa responsabilité était - déjà - insusceptible d’être engagée à raison des seules fautes commises par les autres intervenants à l’opération. En vertu de la seconde décision, d’autre part, la Haute Assemblée considérait que le maître d’ouvrage public ne peut être tenu pour responsable des préjudices dont une entreprise requérante lui demandait réparation du fait de l’allongement de la durée d’exécution du marché de travaux résultant de manquements à leurs obligations d’un autre entrepreneur ou de la maîtrise d’œuvre.
Par sa toute récente décision Société CMEG (CE, 11 oct. 2021 : n°438872 – Publié au Rec. CE), le Conseil d’Etat vient utilement compléter la jurisprudence en la matière, retenant pour la première fois qu’une faute contractuelle commise par un entrepreneur peut être invoquée par un autre titulaire de lot, tiers au contrat, afin d‘obtenir l’indemnisation du préjudice que cette faute lui aurait causé.
Il s’agit d’un sérieux tempérament à l’effet relatif du contrat, en l’occurrence du marché public de travaux.
Selon le Conseil d’Etat :
« 2. Dans le cadre d'un litige né de l'exécution de travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n'est lié par aucun contrat, notamment s'ils ont commis des fautes qui ont contribué à l'inexécution de ses obligations contractuelles à l'égard du maître d'ouvrage, sans devoir se limiter à cet égard à la violation des règles de l'art ou à la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires. Il peut en particulier rechercher leur responsabilité du fait d'un manquement aux stipulations des contrats qu'ils ont conclus avec le maître d'ouvrage. »
Ainsi, en cas de retard d’un des titulaires de lot ayant causé un préjudice à un ou plusieurs autres entrepreneurs, ces derniers pourront plus aisément rechercher la responsabilité de l’entrepreneur ayant méconnu ses obligations contractuelles en matière de délai d’exécution.
Prolongeant les jurisprudences Région Haute-Normandie et Eiffage Alsace Franche-Comté, cette décision pourra renforcer la position des maîtres d’ouvrage publics auxquels un entrepreneur réclame une indemnisation tirée du retard d’un autre participant à l’opération. En ce sens, celle-ci doit être saluée.
Publié le 16-09-2021 par Me Grégory MOLLION
Distinction entre marchés publics et concessions :
La distinction entre marchés publics et concessions est un grand classique du droit de la commande publique, tant les deux catégories de contrats sont proches, notamment sous le prisme du droit européen.
Les diverses réformes des codes des marchés publics, et aujourd’hui du code de la commande publique confirment qu’en réalité, seul un des critères du contrat est déterminant pour les distinguer : le Conseil d’Etat vient de rappeler qu’un contrat ne transférant pas le risque financier sur le cocontractant ne peut être une concession. Il s’agira forcément d’un marché public.
Dans l’espèce rendue par le Conseil d’Etat dans son arrêt du 18 mai 2021, Monsieur A. et autres, il s’agissait d’une concession d’aménagement, pour rappel, contrat administratif par lequel des personnes publiques confient à des aménageurs la réalisation d'une opération d'aménagement, d’un projet immobilier de type ZAC, création d’un nouveau quartier, projet d’ensemble, etc. …
Le contrat de concession d’aménagement n’est ni véritablement un marché public, ni une concession. Il s’agit d’une troisième catégorie de contrats publics relativement dérogatoire, ne serait-ce que par ce qu’elle relève du code de l’urbanisme (Articles L. 300-4 et suivants).
Pourtant, la concession d’aménagement obéit aux règles de passation du Code de la commande publique et doit être passée selon les procédures applicables aux marchés publics lorsque la concession ne transfère pas de risques financiers à l’aménageur. En revanche, lorsque la concession transfère un risque financier à cet aménageur, la concession d’aménagement sera passée selon les règles des concessions de service.
C’est pour cette raison que les juges du Conseil d’Etat ont dû analyser le contenu du contrat d’aménagement litigieux, afin de vérifier la nature des relations financières existantes entre la collectivité et son aménageur.
Il est apparu en l’espèce qu’aucun risque financier n’était transféré à cet aménageur par la Communauté d’Agglomération. Plusieurs clauses prévoyaient que le projet était réalisé aux risques exclusifs de l’agglomération concédante. En outre, le concessionnaire bénéficiait d’une rémunération minimale garantie indépendamment des résultats de l’opération.
Par voie de conséquence, le Conseil d’Etat a considéré que ce contrat aurait dû être passé selon les règles du Code des marchés publics, qui, pour rappel, est le contrat employé lorsque la relation contractuelle ne transfère pas de risques au cocontractant de l’administration (la jurisprudence est constante depuis des années : CE 7 novembre 2008, Département de la Vendée, n° 291794 ; CE, 1996, Préfet des Bouches-du-Rhône c/ Lambesc ; CE, 1999, SMITOM).
Il en résulte que le contrat ayant été passé selon la procédure de concession est illégal, et que la transaction qui était attachée à ce contrat dans le litige ne pouvait obéir aux règles des concessions : en l’espèce, le droit des concessions permet la négociation du contenu de la transaction, et notamment la possibilité de renoncer au paiement d’intérêts moratoires. A l’inverse, en droit des marchés publics, cette renonciation est illégale (CE, 17 oct. 2003, n°249822) si bien qu’au regard de la nécessaire application du régime des marchés publics au contrat, la transaction qui lui était attachée a été invalidée par la haute assemblée.
Cet arrêt nous éclaire encore une fois sur l’attention qui doit être portée, lorsqu’on désire passer une commande publique, sur la question de la partie qui supportera le risque financier de l’opération : le régime de la passation et de l’exécution du contrat projeté en dépend.
CE, 18 mai 2021, n°443153
Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 18/05/2021, 443153 - Légifrance (legifrance.gouv.fr)
Publié le 03-09-2021 par Me Tom SÉNÉGAS
Acheteurs publics, que faire face à la défaillance d’une entreprise ?
Les Affiches de Grenoble et du Dauphiné ont publié, dans le numéro du 3 septembre 2021, un article rédigé par Me SENEGAS portant sur les options dont disposent les acheteurs publics pour pallier la défaillance d’une entreprise. Zoom sur ces outils, particulièrement utiles dans les marchés publics de travaux.
Publié le 03-05-2021 par Me Tom SÉNÉGAS
Agression du Maire de MIRIBEL-LES-ECHELLES : le cabinet aux côtés des Elus et des Associations des Maires de l’Isère et des Maires Ruraux de l’Isère !
Palais de justice de Grenoble • © Isabelle Guyader France 3 Alpes
Accompagnant les acteurs publics dans l’ensemble de leurs projets et contentieux, nous sommes aussi à leurs côtés dans les circonstances les plus difficiles, lorsque le statut même de l’Elu local est remis en cause.
C’est dans ce cadre que Me Tom SENEGAS a eu l’honneur de défendre le Maire de MIRIBEL-LES-ECHELLES, Monsieur Williams DUFOUR, ainsi que deux conseillers municipaux, tous trois victimes d’une agression au cœur de l’été dernier.
Effet probable de la Circulaire dite Dupond-Moretti du 7 septembre 2020 (« relative au traitement judiciaire des infractions commises à l’encontre des personnes investies d’un mandat électif et au renforcement du suivi judiciaire des affaires pénales les concernant »), le délai de jugement a été nettement abrégé : 9 mois au lieu de 2 ans habituellement.
Sur le fond, je salue le jugement du Tribunal pour enfants qui, tout en revêtant une dimension éducative, condamne les trois adolescents en retenant la circonstance aggravante de personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public pour Monsieur le Maire, et fait droit à nos demandes d’expertises médicales et d’indemnités provisionnelles.
Pour l’Association des Maires de l’Isère et l’Association des Maires Ruraux de l’Isère, constituées parties civiles et pleinement mobilisées aux côtés de leurs collègues, nous obtenons la condamnation demandée à 1 euro symbolique.
Ecouter l'interview France Bleu Isère
Publié le 08-03-2021 par Me Tom SÉNÉGAS
La protection fonctionnelle de l’élu local : un dispositif peu connu mais efficace.
Les Affiches de Grenoble et du Dauphiné ont publié, dans le numéro du 5 mars 2021, un article rédigé par Me SENEGAS portant sur le dispositif de protection des élus.
Publié le 22-02-2021 par Me Tom SÉNÉGAS
Un candidat évincé peut former plusieurs référés précontractuels successifs relatifs à la même procédure de passation
Le Conseil d’Etat admet qu’un candidat évincé d’un contrat de concession puisse, après l’exercice de deux référés précontractuels, en former un 3ème à l’objet identique, sous la seule réserve que le contrat ne soit pas encore signé.
Par une ordonnance qui avait été rendue en juin 2019, le juge des référés du Tribunal administratif de Grenoble avait jugé, comme notre cabinet l’y invitait, qu’une seconde requête en référé précontractuel formée à l’égard de la même procédure de passation (appel d’offres ouvert) devait être rejetée en application de l’autorité relative de la chose jugée attachée à l’ordonnance préalablement rendue. Ce faisant, le juge des référés grenoblois avait suivi le même raisonnement que plusieurs de ses homologues ayant retenu que l’absence d’autorité de chose jugée habituellement attachée aux ordonnances de référé trouvait sa limite au regard de l’office bien particulier du juge statuant en référé précontractuel (V. en ce sens : TA Saint-Denis de la Réunion, 6 juin 2001, Société Bourbonèse de travaux publics et construction : n°0100022 – TA Montreuil, 24 mai 2012, Société Enviro – Conseils et travaux : n°1204094). A cette occasion, nous avions fait valoir auprès du juge des référés la classique triple identité d’objet, de cause juridique et de parties. S’agissant de la cause juridique, nous avions fait valoir qu’en matière de référé précontractuel, la notion de cause juridique avait selon nous peu de sens dès lors qu’elle était entendue de manière extrêmement large : tout moyen relatif à la méconnaissance des obligations de publicité et de mise en concurrence ayant trait à la même cause juridique. Cette ordonnance audacieuse était d’autant plus intéressante que la jurisprudence du Conseil d’Etat, en la matière, n’était alors pas fixée (TA Grenoble, réf., 8 juillet 2019 : n°1904052).
Il semble que ce soit désormais chose faite. En effet, par une décision du 8 décembre 2020, le Conseil d’Etat considère que « la circonstance qu’un opérateur économique évincé ait déjà exercé deux référés précontractuels au cours desquels il aurait pu soulever le manquement dont il se prévalait ne fait pas obstacle à ce qu’il forme un nouveau référé précontractuel tant que le délai de suspension de la signature du contrat n’est pas expiré ».
Dès lors, aucune autorité de chose jugée n’est reconnue aux ordonnances de référés précontractuels, leur régime étant aligné sur celui des ordonnances de référé rendues, par exemple, dans le cadre de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative (référé-suspension). A cet égard, il faut dire que dans un arrêt récent, du 29 juin 2020 (CE, SCI Eaux douces, n°435502), le Conseil d’Etat avait considéré que la circonstance que le juge des référés ait rejeté une première demande de suspension présentée sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative ne fait pas obstacle à ce que le même requérant saisisse ce juge d’une nouvelle demande ayant le même objet, notamment en soulevant des moyens ou en faisant valoir des éléments nouveaux, alors même qu’ils auraient pu lui être soumis dès sa première saisine.
Autrement dit, la solution issue de la décision SCI Eaux Douces est étendue au référé précontractuel avec, pour seule particularité, la date butoir de la signature du contrat, dont on sait qu’elle engendre de manière automatique l’irrecevabilité des conclusions formulées devant le juge du référé précontractuel (CE, 7 mars 2005, Société Grandjouan – Saco : n°270778 – Publié au Rec. CE).
Au total, tant que le contrat n’est pas signé, le requérant peut multiplier les référés précontractuels, sans qu’aucune autre limite ne puisse être apportée à son éventuelle quérulence. Il ne s’agit pas d’une bonne nouvelle pour les acheteurs publics !
Cela implique, pour l’acheteur public, d’anticiper, dans la mesure du possible, l’éventuelle succession de référés dans le cadre du rétro-planning de la procédure de passation du contrat, marché public ou concession. Il pourra toutefois être apporté une limite à ce type de comportement avec, éventuellement, d’éventuelles amendes pour recours abusifs (article L. 741-12 du Code de justice administrative), même si ce pouvoir est appliqué avec beaucoup de parcimonie par les juridictions administratives. De même, le juge des référés pourra tenir compte de la succession de référés dans l’application de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative.
Consulter la décision CE, 8 décembre 2020, Sté Pompes Funèbres Funérarium : n°440704
Publié le 02-02-2021 par Me Grégory MOLLION
Le Conseil d’Etat reconnait la possibilité aux régies non personnalisées d’avoir recours au chômage partiel
La SELARL CONSEIL AFFAIRES PUBLIQUES a accompagné le Syndicat Mixte Savoie Grand Revard, exploitant de stations de ski alpin et nordique (le Revard, la Feclaz).
Dans ce cadre, les services de l’Etat avaient refusé au syndicat mixte le bénéfice du dispositif d’activités partielles en s’appuyant sur les dispositions de l’article L. 5424-1 du Code du travail au terme duquel seuls les agents non titulaires des collectivités territoriales et les agents non statutaires des établissements publics administratifs pouvaient adhérer à ce régime d’assurance.
En somme, les services de l’état considéraient que, parmi les modes de gestion éligibles au chômage partiel, figuraient les seuls établissements publics, dits EPIC en ce qui concerne les domaines skiables qui sont des services publics industriels et commerciaux par détermination de la loi.
A contrario, les régies non personnalisées, n’étant pas des établissements publics, ne pouvaient prétendre à bénéficier du chômage partiel.
Cette position emportait des effets particulièrement dramatiques pour les régies non personnalisées exploitant un domaine skiable, alors même que, en règle générale et de longue date, le régime juridique applicable à ces régies est strictement identique à celui des EPIC, pour ce qui concerne les personnels, à l’inverse des questions patrimoniales ou de gouvernance notamment.
C’est dans ces conditions que le Syndicat Mixte Savoie Grand Revard a engagé un recours à l’encontre du refus qui lui été opposé pour le bénéfice du chômage partiel devant le tribunal administratif de Grenoble, lequel a annulé la décision de refus.
Le ministère a formé appel de cette décision, et la cour administrative d’appel de Lyon a annulé la décision des premiers juges en estimant comme les services de l’état que le chômage partiel n’était pas applicable aux régies non personnalisées, et que la circonstance que la loi montagne n°2 (loi du 28 décembre 2016) ait prévu l’application du chômage partiel aux régies non personnalisées à titre expérimental révélait que la loi ne l’autorisait pas par principe.
Cette vision sans doute trop formelle excluait toujours l’évidence selon laquelle, de fait et sans doute en droit, les employés des régies non personnalisées exploitant un domaine skiable étaient dans une situation strictement similaire à leurs homologues employés par un EPIC, pour autant que la régie non personnalisée en question adhère au régime d’assurance chômage, ce qui est le cas de la plupart d’entre elles.
Fort de ce constat, le Conseil d’Etat a opéré une comparaison et s’est borné à constater que le service public exploité par les régies non personnalisées et personnalisées est identique. Il s’agit d’un service public industriel et commercial par détermination de la loi, dont les personnels, hormis le directeur et le comptable, sont soumis à un régime de droit privé.
Dès lors, les agents contractuels affectés à un service de remontées mécaniques ou de piste de ski peuvent être placés en position d’activités partielles dans les conditions du code de travail de la même manière que les employés des EPIC.
Le Conseil d’Etat prend soin de relever que l’expérimentation des années 2016 est sans incidence sur ce constat, contrairement à ce que soutenaient l’administration et la cour administrative d’appel, cette expérimentation n’ayant été institué qu’en raison des incertitudes qui demeuraient sur ce type de dossier.
Désormais, il revient donc à l’administration, dit le Conseil d’Etat, d’instruire des demandes de chômage partiel et d’y faire droit si les conditions prévues par les textes sont réunies par la régie en demande. L’erreur de droit constituée par la cour administrative d’appel de Lyon est donc réparée et les régies à autonomie financière redeviennent des outils de gestion comparables aux EPIC sur le plan des personnels.
Publié le 11-01-2021 par Me Grégory MOLLION
L’élu intéressé : un statut sous conditions
L’élu de la République dispose de diverses possibilités lui permettant d’assumer des mandats électoraux, le tout dans le strict respect de la règle du non-cumul. Sous cette réserve, et en raison de la coexistence de plusieurs institutions locales que d’aucuns qualifient de « mille-feuille territorial », les élus locaux peuvent être amenés à assumer plusieurs mandats électoraux. Ils peuvent parfois également être en charge de diriger une entreprise ou une institution locale. Dans de tels cas, l’élu local est confronté à une situation que le Code général des collectivités territoriales appelle « l’élu intéressé ».
C’est l’article L. 2131-11 du Code général des collectivités territoriales qui définit l’élu intéressé comme étant un élu intéressé à une affaire, soit en son nom personnel, soit en tant que mandataire, et qui prendrait part a une délibération en lien avec cette affaire. Le conseiller intéressé à l’affaire est en situation de méconnaître le principe d’impartialité, laquelle méconnaissance peut entraîner l’illégalité de la délibération à laquelle il a participé en tant que tel.
Conditions.
Pour autant, il faut réunir deux conditions pour reconnaître un élu intéressé : l’élu doit avoir un intérêt à l’affaire qui a fait l’objet de la délibération et l’élu doit avoir été de nature à exercer une influence décisive sur le résultat du vote de cette délibération. Cela signifie qu’il ne suffit pas d’être intéressé à une affaire pour faire porter un risque juridique sur l’acte voté ou sur sa propre situation. Il convient en effet d’avoir participé activement à la délibération en question pour entrer dans le champ d’application de l’article L. 2131-11.
En somme, au-delà de l’apparence, l’élu intéressé doit également avoir eu l’intention de faire prendre cette décision au conseil délibérant.
Ce régime s’applique concrètement à tout élu local, qu’il soit communal ou intercommunal, et notamment lorsque ce type d’élu est en lien direct ou indirect avec une société commerciale ou une association. Pourtant, il existe un système d’exclusion du statut d’élu intéressé pour un élu mandataire d’une collectivité territoriale lorsqu’il siège au conseil d’administration ou au conseil de surveillance, président du conseil d’administration ou du conseil de surveillance d’une société d’économie mixte locale (SEM) ou d’une société publique locale (SPL), lorsque leur organisation est dite « moniste ». Dans ce cas, l’élu membre d’une SEM ou d’une SPL n’est pas considéré comme intéressé à l’affaire lorsque la collectivité va délibérer sur les relations existantes entre la collectivité et la SEM ou la SPL. Cette exclusion est intervenue par le vote d’une loi du 2 janvier 2002 afin de protéger les élus membres de ce type de structure qui sont très nombreux, et pour ne pas mettre en péril le statut d’élu administrateur des entreprises locales très importantes sur nos territoires. En revanche, dans le domaine spécifique de la commande publique, les élus locaux, membres de la CAO qui sont aussi membres ou exercent des activités de direction au sein d’une SEML, d’une SPL ou d’une SPLA ne peuvent pas participer aux réunions de la commission décidant l’attribution d’un marché, si la société est candidate (CGCT, art. L. 1524-5, al. 12 Rép. min. n° 10996 : JO Sénat Q, 26 juin 2014, p. 1557 Rép. min. n° 1560 : JO Sénat Q, 23 avr. 2009, p. 1017). De même, les administrateurs des filiales des SEM ne bénéficient pas de cette protection.
Quelques illustrations nous permettent de cerner les hypothèses dans lesquelles les critères précités sont réunis : est intéressé à l’affaire le conseiller qui est également PDG d’une société exploitant un théâtre communal, dès lors que cet élu délibère sur les demandes de subventions de cette même société d’exploitation, en vue de réalisation des travaux au sein du théâtre (CE, 23 septembre 1987, n° 65014). Il en est de même pour un élu président et membre du conseil d’administration d‘une association, laquelle association sollicite le versement de subventions par le biais d’une délibération municipale (CE, 9 juillet 2003, n° 248344).
Pour ce qui concerne le second critère tenant à l’influence de l’élu intéressé lors de la délibération, tel est le cas d’un élu qui aura la qualité de rapporteur du projet de délibération puisqu’il aura participé activement à son adoption, cette situation présume son influence effective (CE, 13 février 1987, n° 70331). De même, la jurisprudence censure fréquemment les conseillers intéressés qui ont pris une part importante aux débats et qui ont participé au vote de la délibération (CE, 27 juin 1997, n° 122044).
Effets et risque pénal.
Sur les effets d’une telle situation, l’élu intéressé à l’affaire peut entraîner l’illégalité de la délibération à laquelle il a participé. Plus encore, sur le plan personnel, il fera naître un risque pénal. Les infractions concernées peuvent être essentiellement la prise illégale d’intérêts, le délit de favoritisme, voire la corruption (solliciter ou agréer, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons) ou concussion (recevoir, exiger ou ordonner de percevoir une somme indue).
La prise illégale d’intérêts consiste à prendre pour soi-même, recevoir ou conserver un intérêt dans une entreprise ou dans une opération. Elle est constituée en cas d’action de surveillance, d’administration, de liquidation ou de paiement d’une entreprise (Code pénal, art. 432-12). La surveillance peut consister pour des élus dans le cadre de leurs fonctions, en de simples préparations, propositions ou présentation de rapports ou d’avis en vue de la prise de décisions par d’autres personnes (Cass. crim. 19 sept. 2003). C’est aussi « l’intérêt quelconque » pris, reçu ou conservé par l’élu, qui peut être direct ou indirect : la jurisprudence considère que tout bénéfice peut constituer cet « intérêt quelconque » : argent, cadeaux, travaux gracieux, etc.
Le délit de favoritisme consiste à procurer ou tenter de procurer à autrui un avantage injustifié. Il vise les « personne(s) dépositaire(s) de l’autorité publique ou chargée(s) d’une mission de service public ou investie(s) d’un mandat électif public ». On le retrouve souvent lors de dossiers en lien avec l’attribution de contrats de la commande publique, notamment les marchés publics ou autres conventions de ce type (irrégularités de la passation en matière de concessions, certaines occupations du domaine public, etc.). En revanche, pour le juge pénal, le délit d’avantage injustifié ne peut être constitué qu’en cas d’intention dûment établie (Crim. 30 avril 2003). Attention, dès lors que l’auteur a la qualité d’élu, les juges présument sa connaissance de la loi, et, par suite, sa volonté d’en méconnaître les dispositions légales ou réglementaires.
Bonnes pratiques.
En conclusion, si le régime de l’élu intéressé et ses critères sont particulièrement précis et la jurisprudence abondante, il convient d’employer de bonnes pratiques permettant d’éviter d’être confronté à une telle situation.
Le fait d’être un élu intéressé n’est pas en soi un problème juridique et le fait de siéger au conseil délibérant non plus. En effet, la seule présence d’un conseiller intéressé au cours de la délibération ne suffit pas en soi à vicier ladite délibération (CE, 26 févr. 1982, Assoc. Renaissance d’Uzès). Le juge administratif procède à un contrôle in concreto, et contrôle les conditions du vote.
Les bonnes pratiques incitent dans un tel cas, soit de ne pas participer à un vote qui serait susceptible d’intéresser l’élu concerné, soit en dépit d’une présence lors du vote, de prendre garde à ne pas influencer activement ce vote. Il s’agit en réalité de rester le plus neutre possible sans avoir nécessairement besoin de quitter la salle ou de renoncer à participer au vote.